Illustration d'un visage dans un visage

De l’enfant choyé à l’adulte responsable : mon cheminement pour renforcer mon identité humaine

Une réflexion qui aide à comprendre comment ce qui est vécu tout au long de notre vie influence le développement de notre identité humaine et comment il est possible de se libérer de ce qui entrave notre évolution afin de renforcer cette identité.

Auteur : Serge Trépanier, père de deux jeunes adultes, témoigne de son cheminement pour renforcer son identité humaine.

Dans cet article, j’aimerais partager avec vous ma réflexion sur certains éléments de mon cheminement pour renforcer mon identité humaine, cheminement qui m’a permis de passer de l’enfant éduqué avec beaucoup de privilèges à l’adulte responsable d’un service en entreprise et à mentor dans mon milieu de travail ainsi qu’auprès des jeunes de mon entourage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de clarifier la différence entre l’identité humaine et l’identité sociale.

Qu’est-ce que l’identité humaine et l’identité sociale ?

L’identité socialei est composée notamment des connaissances acquises, du rôle social, du mode de vie, des influences de l’environnement et de la culture, des conditionnements de la société. En général, on accorde beaucoup d’importance à cette identité. Ainsi, on nous reconnaît comme le fils d’un tel, l’ami d’une telle, l’employé ou le professionnel. Mais nous ne sommes pas que cela.

Notre identité humaine est présente dès notre naissance et est composée de nos émotions, de notre raison et de notre instinct. Schéma présentant l'identité humaineSon évolution sera influencée par l’environnement, l’éducation, la famille, les relations interpersonnelles, etc. Afin que nous comprenions mieux qui nous sommes, la démarche de l’approche d’intervention préventive multidimensionnelle de Guitouni propose que nous revenions à cette base qu’est l’identité humaine en prenant conscience des facteurs qui ont eu un effet sur elle. De plus, cette approche est multidimensionnelle dans le sens où elle permet de « développer des outils à plusieurs niveaux pour aider [la personne] à renforcer son identité, à développer sa capacité de résister à la pression et à comprendre les enjeux des relations interpersonnellesii ».

Qu’est-ce qui a marqué mon enfance ?

Commençons par ce qui a marqué mon enfance. Pendant les six premières années de ma vie jusqu’à la naissance de mon frère, j’ai été un enfant choyé et privilégié, et j’ai eu droit à toute l’attention de mes parents. J’avais tout ce que je voulais sans même le demander ou devoir faire l’effort de le demander. Et même après la naissance de mon frère, ma mère a continué à m’octroyer un statut privilégié. Pour attirer son attention, mon petit frère me narguait pour me faire réagir, mais ma mère prenait la plupart du temps ma défense.

En tant qu’enfant choyé, je n’avais pas à exprimer mes besoins ni mes idées, parce que j’obtenais tout ce que je voulais sans faire d’efforts.

À cette époque, mon père trouvait que j’étais surprotégé et tentait de contrebalancer l’approche surprotectrice de ma mère. Je me rappelle que lors de mes échanges avec lui, j’étais susceptible et je réagissais au quart de tour. Il me traitait alors de « soupe au lait ». Au fond de lui, il souhaitait que je sois moins susceptible et plus capable d’argumenter mes propos afin de pouvoir plus tard prendre ma place comme adulte.

Avec toute l’attention et les privilèges accordés par ma mère et le fait qu’elle allait au-devant de mes besoins, j’ai eu la vie facile : je n’avais pas à exprimer mes besoins ni mes idées, parce que j’obtenais tout ce que je voulais sans faire d’efforts. Cela m’a amené à me croire au-dessus des autres. Par contre, puisque je n’avais pas développé la capacité de m’exprimer et de m’affirmer, j’ai vécu des expériences, en dehors du cercle familial, où j’ai pris conscience de ma vulnérabilité.

Avec le recul, je considère que de ne pas exprimer mes émotions et mes idées m’a conduit à chercher à éviter les conflits interpersonnels. Je n’étais pas à l’aise avec la contestation ni l’affrontement, car, d’une part, je n’avais pas appris à expliquer mon point de vue en l’appuyant sur une argumentation et, d’autre part, je me croyais supérieur et je ne voyais pas la nécessité de m’exprimer. J’ai été élevé comme un enfant unique et habitué à avoir toujours raison sans opposition ; je peux dire sans trop me tromper que j’en suis venu à considérer que l’objectif à préserver à tout prix était cet état de calme et de bien-être que je ressentais dans cette vie d’enfant choyé, jamais frustré et contesté.

Qu’est-ce que j’ai vécu durant mes études universitaires ?

J’ai pris conscience des conséquences de l’attitude dans laquelle je me cantonnais, à savoir celle de l’enfant unique et choyé.

Quand j’étais adolescent, ma mère a entrepris une démarche de renforcement de son identité humaine et a participé à des formations basées sur l’approche d’intervention préventive multidimensionnelle de Guitouni. Elle m’a introduit à ces formations, que j’ai suivies au même moment que mes études universitaires. À cette époque, je rencontrais des difficultés dans mes études et dans mes relations interpersonnelles. J’étais en quelque sorte à la recherche de moi-même et en quête de savoir qui j’étais et ce que je voulais faire. Ces formations m’ont permis de comprendre que je devais changer pour être en mesure d’affronter les difficultés du monde réel qui se présentaient à moi. Ainsi, pour surmonter ces nouveaux défis, à l’université par exemple, j’ai dû développer la persévérance et le courage de résister au désir d’abandonner à la moindre embûche.

Durant mes années d’université, j’ai pris conscience des conséquences de l’attitude dans laquelle je me cantonnais, à savoir celle de l’enfant unique et choyé. J’ai appris à reconnaître mes émotions, notamment celle d’être frustré du manque de reconnaissance de mon intelligence. La démarche entreprise dans les formations mentionnées précédemment m’a amené à comprendre ce qui provoque mes émotions. Cela m’a aidé à éviter que mes réactions émotives viennent créer de l’interférence dans mes propos ou dans mes relations avec les autres. J’ai aussi appris à étayer mon argumentaire pour prendre ma place ainsi que mon courage pour m’affirmer, ce qui a facilité par la suite mon intégration professionnelle.

Quel a été mon cheminement dans mon milieu de travail ?

Pendant mes premières années de travail en tant qu’ingénieur, j’ai développé mes compétences grâce à l’accompagnement de professionnels plus expérimentés. Étant un peu paresseux de nature et ayant parfois besoin d’être « bousculé » pour bouger, j’ai accepté d’être encadré par une personne reconnue pour son approche exigeante. Ces années de mentorat m’ont permis de voir les avantages d’une telle démarche et j’ai compris que mon intérêt reposait dans l’apprentissage et l’acquisition des compétences et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de ma profession. 

Sur le plan émotionnel, je ressentais à la fois de l’insécurité et une certaine frustration.

Après quelques années de travail, j’ai vécu une expérience qui m’a poussé à sortir de ma zone de confort. Après le départ de mon supérieur, le grand patron m’a offert de prendre le poste vacant de directeur de service. Mon premier réflexe fut de refuser, car je doutais de mes compétences et je craignais de ne pas être à la hauteur du défi.

Voyant la déception sur le visage du patron, je me suis demandé : « S’il croit que j’ai les capacités d’assumer le poste, pourquoi moi, je ne me fais pas confiance ? » J’ai alors fait une introspection sur les raisons de mon refus et voici ce que j’ai compris. Sur le plan émotionnel, je ressentais à la fois de l’insécurité et une certaine frustration. L’insécurité m’amenait à penser que je n’étais pas à la hauteur du poste et que je risquais d’être jugé par les autres si j’échouais. En même temps, j’éprouvais une frustration liée à ma volonté de puissance, qui, elle, me poussait à foncer et que j’étouffais. J’ai analysé mon insécurité et j’ai pris conscience que mes peurs n’étaient pas fondées, puisque j’avais les compétences de base requises pour aller plus loin et que je devais me faire confiance. En acceptant le poste, j’allais satisfaire ma volonté de puissance, car en saisissant cette occasion qui m’était offerte, j’avais la possibilité de renforcer mes compétences professionnelles et humaines. sroh carriere 360

Le lendemain, j’ai fait part de mon changement d’idée au patron et je lui ai annoncé que j’acceptais de prendre le poste. Ma décision fut basée sur ce que je voulais accomplir et non sur le désir de plaire au patron qui m’avait offert le poste. Cette expérience m’a permis de renforcer mon identité humaine et a eu une influence déterminante sur l’ensemble de ma carrière.

Quelle influence ma mère et mon père ont-ils eu sur mon cheminement ?

Ici, je trouve important de préciser que ma mère, à travers la démarche qu’elle avait entreprise pour elle-même, avait pris conscience de la nécessité pour ses enfants d’être instruits, mais aussi de développer leurs compétences humaines et sociales ainsi que leur intelligence émotionnelle. Après toutes ces années, j’ai compris que son but premier était de nous éviter, à mon frère et à moi, des difficultés avec la gestion des émotions et de nous donner le goût et le courage de vivre nos ambitions. Merci, maman !

Lorsque j’étais jeune, mon père a senti intuitivement qu’il devait corriger la trajectoire vers laquelle la surprotection de ma mère me conduisait. De plus, il avait une connaissance et une expérience du monde extérieur, et je comptais sur lui pour qu’il me conseille et m’épaule, ce qu’il a fait durant tout mon parcours. Merci, papa !

Quelle est l’importance de l’intelligence émotionnelle au travail ?

Il ne faut pas se fier aux apparences parfois trompeuses et il faut plutôt chercher à définir les raisons derrière un comportement.

Tout au long de ma démarche personnelle, j’ai accordé de l’importance à certaines valeurs telles que respecter les différences, ne pas se croire supérieur aux autres à cause de son titreiii, être franc, tenir parole, etc. Je voulais devenir une personne de confiance, intègre et sur qui on pouvait se fier. Je voulais pouvoir agir comme mentor auprès des plus jeunes et être capable de donner le goût du dépassement. Ainsi, dans le cadre de mon travail comme directeur en entreprise, j’ai misé sur l’intelligence émotionnelle pour avoir une influence positive sur les membres du personnel de mon service. J’ai réussi à me faire apprécier en étant à l’écoute pour mieux les connaître, en faisant appel à leur coopération et en les motivant à donner le meilleur d’eux-mêmes, et ce, en fonction de leurs propres capacités, de leurs aptitudes et de leur désir de développer leurs compétences. 

Pour illustrer mon propos, voici une situation que j’ai vécue : j’ai eu à intervenir auprès d’un employé qui arrivait souvent en retard au travail. Je lui ai demandé de venir dans mon bureau et j’ai commencé à lui poser des questions sur les motifs de ses retards. sroh entrevue pour travail 360Au fur et à mesure de la conversation, il a fini par m’expliquer les raisons qui l’avaient amené à avoir ce comportement : il était démotivé au travail et les tâches qu’on lui confiait n’étaient pas satisfaisantes pour lui. Nous avons donc établi ensemble un plan d’action qui comportait des formations et des objectifs très précis à la fois pour lui et pour son rôle dans l’entreprise. Par la suite, cet employé n’est jamais plus arrivé en retard, sa motivation et son engagement au travail se sont accrus. Ceci démontre qu’il ne faut pas se fier aux apparences parfois trompeuses et qu’il faut plutôt chercher à définir les raisons derrière un comportement.

Conclusion

Mon cheminement m’amène à constater que les expériences et les apprentissages de l’enfance et ce qui est vécu tout au long de notre vie influencent le développement de notre identité humaine. Or la démarche de renforcement de cette identité humaine n’est jamais achevée. On ne peut prétendre atteindre la perfection, mais on peut tendre à équilibrer la recherche de sécurité et les élans de la volonté de puissanceiv. Pour moi, encore aujourd’hui, mon sentiment d’insécurité se fait sentir lorsque je suis placé devant l’inconnu et j’ai tendance à remettre les choses à plus tard. Chaque fois, il me faut contrecarrer l’emprise de mon besoin de sécurité pour orienter mon action dans le respect de mon identité humaine et de celle des autres. Ainsi, l’apprentissage que j’ai fait et la connaissance que j’ai aujourd’hui de moi-même font en sorte que je suis en mesure de me dire : « J’ai assez procrastiné, lance-toi, agis, bouge, fais quelque chose. » Mais la recherche de satisfaction de l’enfant unique et choyé n’est jamais loin derrière, j’en suis conscient, et je peux dire que, maintenant, je prends les moyens pour m’en libérer.

Références

iGuitouni, M. (2008). L’intelligence émotionnelle et l’entreprise. Outremont : Carte blanche, p. 36-38.

iiGuitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993). Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec.

iiiVoir le concept d’égalité humaine dans le livre de Guitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993), Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes (Québec : Presses de l’Université du Québec), p. 153.

ivPour plus d’explications sur l’insécurité et la volonté de puissance, vous pouvez consulter :

Pour citer cet article

Trépanier, S. (2023) De l’enfant choyé à l’adulte responsable : mon cheminement pour renforcer mon identité humaine, Psychologie préventive. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : https://sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/287-de-l-enfant-choye-a-l-adulte-responsable-mon-cheminement-pour-renforcer-mon-identite-humaine

 

Comment apprivoiser les émotions?

Comment apprivoiser les émotions?

Qu’est-ce que l'intelligence émotionnelle ? Cet article explique comment identifier et comprendre ce qui déclenche la réaction émotionnelle et pourquoi il est important de développer cette intelligence.

Auteure: Denise Normand-Guérette, orthopédagogue, professeure associée, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal

Dans le monde actuel, l’expression « intelligence émotionnelle » est souvent utilisée. Mais a-t-elle la même signification pour tous ? Depuis quand parle-t-on de cette forme d'intelligence ? En 1995, l’ouvrage de Goleman Emotional Intelligence (traduit en français en 1997) a fait connaître cette notion à un large public, car il a suscité l’intérêt des médias, de la population en général ainsi que de chercheurs dans différents domaines comme la psychologie, l'éducation, la gestion des entreprises, les relations de travail et d’autres. 

Qu'est-ce que l’intelligence émotionnelle ?

L'intelligence émotionnelle doit être intégrée à l'identité de la personne.

En 1990, Salovey et Mayer en proposent une première définition : c’est la « capacité de contrôler ses propres sentiments et émotions et ceux des autres, de les discriminer et d'utiliser cette information pour guider sa pensée et ses actions » (p. 189, traduction libre)1.

Dans un texte paru en 1997, ces mêmes auteurs orientent leur définition vers un ensemble d'habiletés : l’intelligence émotionnelle, c'est « (a) percevoir et exprimer l'émotion avec précision, (b) se servir de l'émotion pour faciliter les activités cognitives, (c) comprendre les émotions et (d) gérer les émotions pour une croissance à la fois émotionnelle et personnelle » (cités dans Salovey, Brackett et Mayer, 2004, p. ii, traduction libre2).

Pour sa part, Goleman considère que l'intelligence émotionnelle « recouvre la maîtrise de soi, l'ardeur et la persévérance, et la faculté de s’inciter soi-même à l'action » (1997, p. 10).

Bien qu’il n’y ait pas de consensus pour définir l’intelligence émotionnelle, on assiste, depuis les deux dernières décennies, à une prolifération de recherches sur l'intelligence émotionnelle3. Notamment, de nouvelles technologies d'imagerie cérébrale permettent la réalisation de travaux scientifiques contribuant à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et des émotions. Des instruments de mesure sont développés pour évaluer différentes capacités reliées à l'intelligence émotionnelle, et même pour mesurer un quotient émotionnel. Des programmes visant à développer l’intelligence émotionnelle sont expérimentés dans différents milieux, notamment à l'école et en entreprise. 

Il est important de cerner quel est le stimulus à l'origine de la réaction émotionnelle et de travailler à diminuer l'intensité de ce stimulus pour pouvoir équilibrer l’émotion. 

 chronique intelligence émotionnelle - homme fâchéActuellement, il existe deux grands courants de conceptualisation de l'intelligence émotionnelle (I.E.) :

  • « l’I.E. comme habileté mentale, comme une forme d’intelligence parmi d’autres. Cette conceptualisation se base sur le modèle de Mayer et Salovey ;
  • l’I.E. comme trait de personnalité. Cette conceptualisation s’inspire des modèles de Goleman, de Bar-On, de Furnham et Petrides » (Bodarwé, 2008, p. 11). 

Une autre approche se distingue de ces deux courants de conceptualisation. Guitouni explique sa vision de l'intelligence émotionnelle en tenant compte de ses recherches sur la libération et le renforcement de l'identité humaine effectuées depuis les années 1970. Il a enseigné l'intelligence émotionnelle comme étant « plus qu’un modèle ou un concept ». Selon lui, elle constitue 

 chronique intelligence émotionnelle no47 roches« un outil de base dans les relations interpersonnelles, qu'elles soient conjugales, familiales, amicales, sociales ou professionnelles. Cet outil de base doit être intégré à l'identité de la personne afin qu'elle puisse comprendre instantanément les émotions et les vivre de façon équilibrée. L'équilibre émotionnel se vit sur-le-champ, il ne peut être atteint en se retirant de l'action pour réfléchir à un modèle, un concept ou encore une stratégie d'intervention, parce que les émotions ne se maîtrisent pas. Elles trouvent leur équilibre à l'intérieur d'une identité forte » (Guitouni et Brissette, 2000, p. 21)

Dans la préface d'un ouvrage publié en 2013 dans le domaine de l’éducation, ce même auteur explique la place de l'intelligence émotionnelle et il précise :

« L'intelligence émotionnelle n'est pas seulement une habileté à nommer les émotions ressenties ou une capacité intuitive à capter les émotions de l'autre. Elle comprend aussi cette perspicacité de saisir les conséquences sur les autres des émotions que la personne ressent. Elle est aussi beaucoup plus complexe. Pour comprendre la réalité de l'intelligence émotionnelle, il faut trouver le stimulus qui provoque la réaction émotionnelle. L'émotion fait partie intégrante de la nature humaine. Mais pour qu'il y ait manifestations émotionnelles, il faut qu'il y ait un stimulus qui déclenche ces réactions. Un être ne peut devenir émotif sans raison » (Guitouni, 2013, p. x).

Pour distinguer les différents stimuli qui suscitent une réaction émotionnelle, cela exige d’être honnête avec soi, et même de se libérer d'une forme d’orgueil.

Cette capacité à identifier le stimulus qui déclenche la réaction émotionnelle aide l'individu à chercher des moyens pour diminuer l'intensité de ce stimulus et ainsi pouvoir équilibrer l'émotion et ressentir un sentiment de bien-être personnel. Une analogie peut aider à comprendre l'importance de travailler sur le stimulus qui déclenche la réaction émotionnelle. 

chronique intelligence émotionnelle no47 chaudron pb 360pxComparons l'émotion à de l'eau qu’on fait chauffer dans un chaudron. Le stimulus est l'élément qui est sous le chaudron. Lorsque l'eau bout, on peut mettre un couvercle pour l’empêcher de déborder. Malgré cette tentative pour contrôler l'eau, si le chaudron est plein et que l'élément est au maximum, elle débordera, malgré la présence du couvercle. 

Il est donc nécessaire de savoir quel bouton il faut tourner pour faire diminuer la température de l'élément et ainsi diminuer l'intensité du bouillonnement. Il en est de même avec l'émotion : il est important de cerner quel est le stimulus qui est vraiment à l'origine de la réaction émotionnelle et de travailler à diminuer l'intensité de ce stimulus pour pouvoir équilibrer l’émotion.

Qu'est-ce qui est à l'origine de la réaction émotionnelle ?

Pour répondre à la question, utilisons un exemple. Lorsqu'une personne se trouve dans une situation inconnue qui exige d'elle de s'engager dans une action, elle peut dire qu'elle vit de l’insécurité et qu'elle manque de confiance en elle pour expliquer sa difficulté à passer à l'action. Dans cette situation, la personne qui souhaite entreprendre une démarche de développement de son intelligence émotionnelle doit se demander si l'émotion nommée et le stimulus identifié correspondent réellement à ce qu'elle vit intérieurement. Est-il possible que son insécurité soit éveillée par un autre stimulus que le manque de confiance ? Si elle se voit comme une personne supérieure aux autres, il est possible qu'elle veuille accomplir la nouvelle tâche avec brio à leurs yeux afin de susciter leur admiration, mais elle est consciente qu'elle ne connaît pas tous les aspects de cette tâche. En réalité, sa motivation intérieure est de recevoir de la considération de son entourage et d’être reconnue comme supérieure. Dans ce cas, le stimulus qui provoque son insécurité est sa crainte de ne pas recevoir des autres la considération et l'admiration qu'elle attend. Et c'est ce qui peut l'empêcher de passer à l'action. Il ne s’agit pas nécessairement, comme on aurait pu le croire au départ, d’une insécurité face à une méconnaissance de la tâche à accomplir, mais d’une insécurité face à sa capacité de susciter un sentiment d’admiration chez les autres.

Pour devenir capable de distinguer les différents stimuli qui suscitent une réaction émotionnelle, cela exige d’être honnête avec soi, et même de se libérer d'une forme d’orgueil, pour se dire franchement ce que l'on vit. Selon le stimulus à l'origine de l'insécurité qui empêche d'agir, il est nécessaire de travailler différemment sur soi-même pour développer le courage de l'action. S'il s'agit d'un manque de confiance en soi, la personne a besoin de s'outiller concrètement et d'utiliser graduellement ses habiletés pour constater petit à petit qu’elle devient de plus en plus compétente dans la pratique.

S'il s'agit d'un désir d’être considéré supérieur par les autres, la démarche est différente.

Développer son intelligence émotionnelle aide à créer un équilibre entre ses émotions, sa raison et ses besoins instinctifs, ce qui permet d’acquérir une force intérieure et une solidité pour faire face aux difficultés de la vie.

Il est nécessaire de se libérer de ce désir que les autres nous accordent d'emblée une supériorité, et pour y parvenir, « la personne doit apprendre à résister à la tendance à vouloir être la force, même lorsqu'elle est faible. Elle doit aussi accepter de reconnaître la force des autres et apprendre de celle-ci » (Guitouni et Brissette, 2000, p. 113). Pour cela, il est nécessaire de prendre conscience de son niveau de compétence et d’accepter de faire des efforts pour développer ses capacités afin d’atteindre le degré de compétence qui correspond à la supériorité recherchée.

La personne peut aussi se demander : « Qu'est-ce qui m'a amenée à attendre des autres qu’ils reconnaissent ma supériorité ? » Une explication pourrait être que, durant l'enfance, les adultes admiraient tout ce qu'elle faisait, même le plus petit gribouillage fait rapidement sans investir d'efforts, et la félicitaient, lui laissant ainsi croire qu'elle était exceptionnelle. Elle a développé une perception d'elle-même qui l'a amenée à se voir comme une personne supérieure, admirée par son entourage, et à l'âge adulte, elle continue à rechercher une valorisation personnelle à travers des témoignages explicites d’enthousiasme et d’admiration de la part des autres.

Ceci nous amène à constater à quel point il est important de développer chez l'enfant la capacité d'évaluer par lui-même ce qu’il fait et ce qu’il pense, pour décider si la tâche accomplie est satisfaisante ou s'il peut faire mieux. Car s’il ne ressent pas sa propre satisfaction devant la tâche accomplie, cela est susceptible de créer chez lui une tendance à chercher une satisfaction à travers l’approbation et les félicitations qui lui seront données par les autres. Par ailleurs, si une personne prend conscience de ce qui l’a conduit à rechercher l'admiration des autres, elle peut décider de travailler sur ses propres conditionnements et sur ses émotions pour se libérer de cette forme de dépendance par rapport au regard des autres.

Dans la situation expliquée au début de l'exemple, cela signifie que l'intelligence émotionnelle aide la personne à identifier et à travailler sur le stimulus à l'origine de la réaction émotionnelle qui l'empêche d'agir. Dans le cas du premier stimulus, la personne agira malgré son insécurité en étant consciente que c'est par l'action qu'elle pourra accroître ses habiletés. Dans le cas du deuxième stimulus, sa démarche l’aidera à décider de s'engager dans l'action en étant convaincue qu'il est plus important d'agir pour elle-même au lieu de rechercher la reconnaissance d'autrui, car son action l'amène à ressentir une fierté personnelle et à développer une force intérieure. Ce ne sont là que deux exemples de stimuli, il y en a d’autres et c’est à chacun de les identifier.

Pourquoi développer l'intelligence émotionnelle ? 

chronique intelligence émotionnelle no47 sphere2 pb 360pxLorsqu'une personne travaille à développer son intelligence émotionnelle, elle en ressent les effets sur le plan de son bien-être, car cela l'aide à créer un équilibre entre ses émotions, sa raison et ses besoins instinctifs, ce qui lui permet d’acquérir une force intérieure et une solidité pour faire face aux difficultés de la vie. Cela contribue à développer et à renforcer son identité humaine. Cette identité renforcée aide à faire des choix en analysant leurs conséquences, à comprendre les raisons de ses comportements, à vivre moins de frustration, d’angoisse et de stress, à agir avec courage et à ressentir une fierté personnelle.

Toutefois, pour comprendre et développer cette forme d’intelligence, on ne peut pas se contenter de lectures sur le sujet, il est nécessaire de s'engager dans une démarche qui demande temps et énergie et qui exige un investissement personnel. D'abord, la personne prend conscience de sa réaction émotionnelle et est réceptive à percevoir et nommer l'émotion ressentie. Puis, elle tente d’identifier le véritable stimulus à l'origine de l'émotion. 

Par la suite, le travail de compréhension et d'analyse du stimulus contribue à équilibrer l'émotion. Quand une autre situation se présente et que la personne vit une réaction émotionnelle similaire, elle identifie plus rapidement le stimulus qui suscite l'émotion et devient capable de nuancer ce qu'elle ressent et de décider comment se comporter par rapport à elle-même et aux autres, en ayant une compréhension plus globale de la réalité vécue.

Références

Bar-On, R. (2006). The Bar-On model of emotional-social intelligence (ESI). Psicothema, 18, supl., 13-25. Texte intégral en version PDF (consulté le 5 octobre 2017).

Bodarwé, K. (2008). Existe-t-il une corrélation entre l’intelligence émotionnelle et l’asymétrie préfrontale ? (mémoire non publié présenté en vue de l'obtention du grade de licenciée en sciences psychologiques). Université catholique de Louvain, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Texte intégral en version PDF (consulté le 5 octobre 2017).

Brasseur, S. et Gregoire, J. (2010). L’intelligence émotionnelle – trait chez les adolescents à haut potentiel : spécificités et liens avec la réussite scolaire et les compétences sociales. Enfance, 2010(1), 59-76.

Durlak, J.A., Weissberg, R.P., Dymnicki, A.B., Taylor, R.D. et Schellinger, K.B. (2011). The impact of enhancing students’ social and emotional learning : A meta-analysis of school-based universal interventions. Child Development, 82(1), 405-432.

Goleman, D. (1997). L’intelligence émotionnelle. Comment transformer ses émotions en intelligence. Paris : Éditions Robert Laffont.

Goleman, D. (2013). Teach emotional intelligence in schools (consulté le 5 octobre 2017). 

Guitouni, M. (2013). La place de l'intelligence émotionnelle en éducation. Dans J. Pharand et M. Doucet (dir.), En éducation, quand les émotions s’en mêlent ! Enseignement, apprentissage et accompagnement. Québec : Presses de l’Université du Québec, VIII à XIV.

Guitouni, M. et Brissette, Y. (2008). L’intelligence émotionnelle et l’entreprise. Outremont : Carte Blanche.

Guitouni, M. et Brissette, Y. (2000). Au cœur de l’identité : l’intelligence émotionnelle. Outremont : Carte Blanche.

Hansenne, M. et Legrand, J. (2012). Creativity, emotional intelligence, and school performance in children. International Journal of Educational Research, 53, 264-268.

Jones, S.M., Brown, J.L. et Aber, J.L. (2011). Two-year impacts of a universal school-based social-emotional and literacy intervention : An experiment in translational developmental research. Child Development, 82(2), 533-554.

Leedy, G.M. et Smith, J.E. (2012). Development of emotional intelligence in first-year undergraduate students in a frontier state. College Student Journal, 4, 795-804.

Letor, C. (2006). Reconnaissance des compétences émotionnelles comme compétences professionnelles : le cas des enseignants – Analyse des représentations sociales d’acteurs pédagogiques. Les cahiers de recherche en éducation et formation, 53, 1-36.

MacCann, C., Fogarty, G.J., Zeidner, M. et Roberts, R.D. (2011). Coping mediates the relationship between emotional intelligence (EI) and academic achievement. Contemporary Educational Psychology, 36, 60-70.

Salovey, P. et Mayer, J.D. (1990). Emotional intelligence. Imagination, Cognition and Personality, 9, 185-211.

Salovey, P., Brackett, M.A. et Mayer, J.D. (2004). Emotional Intelligence. Key Readings on the Mayer and Salovey Model. New York : Dude Publishing.

Notes

1 Citation originale : « ability to monitor one's own and others' feelings and emotions, to discriminate among them and to use this information to guide one’s thinking and actions » (Salovey et Mayer, 1990, p. 189).

2 Citation originale : « a set of abilities pertaining to (a) accurately perceiving and expressing emotion, (b) using emotion to facilitate cognitive activities, (c) understanding emotions, and (d) managing emotions for both emotional and personal growth (Mayer & Salovey, 1997) » (Salovey, Brackett et Mayer, 2004, p. ii).

3 Bar-On (2006), Bodarwé (2008), Brasseur et Gregoire (2010), Durlak et al. (2011), Goleman (2013), Guitouni et Brissette (2008), Hansenne et Legrand (2012), Jones, Brown et Aber (2011), Leedy et Smith (2012), Letor (2006), MacCann et al. (2011), Salovey, Brackett et Mayer (2004).

 

Pour citer cet article

Normand-Guérette, D. (2014). Comment apprivoiser les émotions ?, Psychologie préventive, (47), 30-35. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne: http://www.sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/224-comment-apprivoiser-les-emotions

L'animatrice Lorraine Brodeur et les participants

Renforcement de l’identité humaine dans l’action

Une réflexion sur une expérience vécue et les émotions ressenties illustre comment le renforcement de l’identité humaine se fait à travers des actions de la vie quotidienne et nécessite des efforts constants.

Auteure : Lorraine Brodeur, parent et grand-parent, témoigne de son évolution sur le plan humain.

Dans ce texte, j’aimerais vous faire part d’une expérience vécue et de ma réflexion sur un thème qui me tient à cœur : le renforcement de l’identité humaine dans l’action. Ce thème a fait l’objet d’une table ronde que j’ai animée et qui était organisée par la Société de recherche en orientation humaine.

Avant de parler de mon expérience personnelle, je voudrais préciser ce que signifie l’expression « identité humaine » selon l’approche d’intervention préventive multidimensionnelle de Guitounii. Cette approche m’a aidée à mieux comprendre ce que je vivais et vis encore. L’identité humaine est présente dès la naissance et comporte trois dimensions, ce que représente le schéma plus bas :

  • la dimension instinctive (besoins de base : respirer, manger, boire…),
  • la dimension émotionnelle (émotions : joie, peur, tristesse…),
  • la dimension rationnelle (capacité de penser, d’apprendre…).

À ces trois dimensions s’ajoutent deux mécanismes de base : l’insécurité et la volonté de puissanceii. Comme je ferai appel à ces deux mécanismes dans la description de ce que j’ai vécu, il me semble utile de les expliquer brièvement.

  • L’insécurité naturelle, qui découle du choc de la naissanceiii, est présente tout au long de la vie lorsque la personne se retrouve face à l’inconnu, au changement ou à des incapacités. Comprendre et apprivoiser cette insécurité conduit à développer des capacités, à être prudent et à se protéger.
  • La volonté de puissance est un élan naturel présent à la naissance chez tout être humain et qui le pousse à utiliser son pouvoir d’agir par lui-même pour devenir de plus en plus autonome.

Voyons maintenant comment j’ai contribué à renforcer mon identité humaine à travers une expérience personnelle.

Animer une table ronde constitue un défi important pour moi, car j’anticipe et je crains le jugement des autres. Accepter de le faire m’a donc placée dans une situation nouvelle. Cette expérience comportait une part d’inconnu et me faisait vivre de l’insécurité. Je me sentais en dehors de ma zone de confort. Toutefois, si je laissais cette insécurité entraver mon désir d’agir, mon évolution serait freinée.

En parallèle, j’éprouvais de l’insatisfaction liée à ce que je percevais comme une difficulté à faire une présentation et à animer une discussion avec un groupe de personnes qui, par leur travail, avaient elles eu la chance d’exercer ce rôle. Selon moi, elles étaient plus compétentes en la matière. En même temps, mon goût de développer et de maîtriser ces habiletés pour devenir de plus en plus compétente me poussait à agir. C’était ma volonté de puissance qui se manifestait ainsi, car elle m’« incit[ait] à chercher le moyen de grandiriv   ».

Parallèlement et de façon régulière, je vis un sentiment qui m’amène à ne pas vouloir être prise en défaut. J’ai plutôt tendance à me tourner vers des activités où je suis plus expérimentée et où mes talents, aptitudes et habiletés sont sollicités. Ces activités représentent moins de défi pour moi et me procurent plus de satisfaction, et quand je les pratique, je n’ai pas à affronter le malaise associé au fait de ne pas me sentir à la hauteur.

En me restreignant à des activités dans lesquelles je me sens à l’aise et compétente, je « joue un tour  » à ma volonté de puissance en lui laissant croire que je suis plus forte que réellement. D’un autre côté, mon besoin d’acquérir de nouvelles compétences reste insatisfait parce que je mets de côté le défi qui se présente à moi – dans le cas de la table ronde, celui d’être capable de communiquer plus aisément pour être en mesure de l’animer.

En cherchant à comprendre ce que je vivais, j’ai pris conscience de mon sentiment d’admiration envers les gens qui ont cette grande facilité de communication. Tout en prenant conscience de mes émotions, j’en suis venue à comprendre rationnellement que c’était important pour moi de développer cette capacité pour poursuivre le renforcement de mon identité. C’est pour cela que je me suis lancée dans l’aventure de faire une présentation et d’animer cette table ronde malgré les insécurités que cette situation me faisait vivre. À toujours remettre les actions qui m’auraient permis d’atteindre mes ambitions, j’ai vécu des frustrations et du stress qui, à la longue, ont pu être néfastes pour ma santé physique et émotionnelle.

Ma famille et certains de mes amis et amies ne considèrent pas le développement de cette capacité comme si utile. Lorsque j’ai fait mon choix, qui allait à l’encontre de leur point de vue, je me suis libérée par le fait même d’une dépendance au jugement et à l’acceptation des autres. Je suis sur la voie de développer plus de confiance et d’être fière de moi.

Par cet exemple, j’ai voulu illustrer concrètement le thème de la table ronde. Préparer et animer cette activité était pour moi une action concrète qui m’a aidée à continuer à renforcer mon identité humaine.

Il est important de faire la distinction entre l’identité humaine et les identités sociale et culturelle. Les identités sociale et culturelle sont la résultante des influences de l’environnement physique et social, des conditionnements, de la culture et de l’époque. Elles rassemblent également le savoir acquis, le mode de vie et le rôle social. On consacre souvent plus d’efforts à consolider ses identités sociale et culturelle. Pourtant, le renforcement de l’identité humaine est essentiel pour se sentir bien avec soi-même et pour jouer son rôle dans la société.

Pour développer son identité humaine, on a besoin d’être à l’écoute de soi, de reconnaître ce qu’on ressent, d’utiliser ses capacités cognitives pour comprendre les enjeux de ce qu’on vit et pour faire des choix d’actions en accordant une place aussi importante aux dimensions émotionnelle, rationnelle qu’instinctive. On doit également créer un équilibre entre la recherche de sécurité et l’expression de la volonté de puissance pour continuer à renforcer son identité humaine tout au long de sa viev.

Références

Pour une définition de cette approche, voir Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation. Montréal : Guérin, p. 1073.

ii Guitouni, M. et Brissette, Y. (2000). Au cœur de l’identité – L’intelligence émotionnelle. Montréal : Carte Blanche, p. 15-16
Guitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993). Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec, p. 155-158.

iii Durant la grossesse, le bébé est dans un environnement protégé, mais à sa naissance, il est projeté dans un monde inconnu. C’est un choc pour lui. Il vit alors tout un changement avec des sensations de toutes sortes qu’il n’a jamais éprouvées. Tout cela l’amène à ressentir une insécurité qui est naturelle et qui est liée au processus de sa naissance. Étant donné qu’il est entièrement dépendant des gens qui l’entourent, son insécurité est amplifiée.

iv Guitouni, M. et Brissette, Y. (2000). Au cœur de l’identité : l’intelligence émotionnelle. Outremont : Carte Blanche, p. 143.

v Pour en savoir davantage sur ce sujet, on peut consulter le texte suivant : 
Létourneau, M. et Normand-Guérette, D. (2017). Équilibrer la volonté de puissance et l'insécurité pour renforcer l'identité, Psychologie préventive. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : http://www.sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/216-equilibrer-la-volonte-de-puissance-et-l-insecurite-pour-renforcer-l-identite

Pour citer cet article

Brodeur, L. (2020) Renforcement de l’identité humaine dans l’action, Psychologie préventive. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : https://sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/264-renforcement-de-l-identite-humaine-dans-l-action

 

Équilibrer la volonté de puissance et l'insécurité pour renforcer l'identité

Équilibrer la volonté de puissance et l'insécurité pour renforcer l'identité

Cette chronique explique deux éléments de base de l’identité humaine : la volonté de puissance et l’insécurité. Des exemples concrets aident à comprendre  l’influence des émotions sur ces éléments. 

Auteures: Micheline Létourneau, psychoéducatrice, M. A. en éducation de l’Université du Québec à Montréal; Denise Normand-Guérette, orthopédagogue, professeure associée, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal

L’intelligence émotionnelle aide à l’identification et à l’analyse des émotions et du ou des stimuli qui les provoquent. Pour qu’un individu puisse acquérir une compréhension des émotions et de leurs stimuli, Guitouni insiste sur la nécessité de tenir compte de trois dimensions – l’instinct, l’émotion, la raison – et de deux mécanismes de base – la volonté de puissance et l’insécurité. Dans cet article, nous nous attarderons à ces deux mécanismes. Guitouni les définit ainsi :

«[…] chaque personne vient au monde avec une double pulsion : la recherche de sécurité et la volonté de puissance. Ces deux éléments sont innés. L’insécurité est déclenchée par le choc de la naissance et par la dépendance du nourrisson dans ses besoins de survie. Mais au-delà de la fragilité de la petite enfance, l’être humain naît aussi avec un autre mécanisme de pulsion de vie qui s’appelle volonté de puissance, […] [une] force qui nous pousse à réclamer nos droits et à puiser en nous-mêmes l’énergie pour nous libérer de la dépendance. L’insécurité permet de protéger sa survie et la volonté de puissance incite à chercher le moyen de grandir » (Guitouni, 1991, p. 10-11).

Ces deux mécanismes s’enchevêtrent et influencent notre fonctionnement au quotidien. Si la volonté de puissance nous pousse à avancer, l’insécurité nous incite à la prudence. C’est par le mécanisme de la volonté de puissance que l’enfant ressent le besoin d’agir de plus en plus par lui-même. Depuis sa naissance, chaque geste posé par l’enfant l’amène à se libérer de sa dépendance et contribue à son développement. En effet, chaque apprentissage entraîne une série d’acquisitions, comme le développement cognitif et physique, qui lui permettent d’explorer davantage son environnement. Sur le plan émotif, ce développement provoque également un sentiment de fierté qui, à son tour, agit comme un leitmotiv et encourage l’enfant à persévérer. Tout parent ou éducateur reconnaît cette fierté dans le visage d’un enfant qui vient de poser un geste par lui-même, comme monter une marche d’escalier ou, repoussant la main de sa mère ou de son père, saisir par lui-même son biberon ou sa cuillère. Il répond ainsi à l’élan de sa volonté de puissance.

Que vit l’enfant à travers sa volonté de puissance et son insécurité ?

 

Le rôle des parents, des éducatrices et des éducateurs est d’aider l’enfant à comprendre l’importance d’un équilibre entre la recherche de sécurité et le développement du courage d’agir pour devenir autonome.

chronique intelligence émotionnelle - fille tristeDans son parcours, l’enfant affronte de nouvelles situations qui lui font vivre de l’insécurité qu’il doit apprendre à surmonter, alors qu’à d’autres moments, son manque de connaissances peut l’amener à avoir des comportements trop téméraires parce qu’il n’en reconnaît pas tous les dangers. L’éducation des parents consiste à lui donner suffisamment de latitude dans ses actions et son exploration, et à l’encourager à affronter de nouvelles situations afin qu’il surmonte son insécurité et qu’il gagne de la confiance en lui. Mais ils doivent aussi éveiller sa conscience par rapport aux dangers présents dans son environnement, et dans certains contextes, circonscrire son champ d’action. Dans ce dernier cas, les gestes des parents pour limiter son pouvoir d’agir visent à le protéger ou à prévenir des incidents. Toutefois, l’enfant peut vivre cela comme une frustration de sa volonté de puissance, qui se sentira freinée dans son élan. Dans ce contexte, le rôle des parents, des éducatrices et des éducateurs est d’aider l’enfant à comprendre l’importance d’un équilibre entre la recherche de sécurité et le développement du courage d’agir pour devenir autonome. 

Il faut aussi savoir que la satisfaction, sous diverses formes, peut amener l’enfant à fournir moins d’efforts pour acquérir son autonomie et même détourner sa volonté de puissance vers d’autres fins. En voici un exemple. Un jeune enfant pose un geste qui fait éclater de rire tous les adultes autour de lui. Cette réaction envoie un message de satisfaction à sa volonté de puissance, qui se sent alors considérée par les autres. Dans cette situation, l’enfant réalise qu’il est capable de faire rire les gens et cela suscite, chez lui, une émotion de joie. Il souhaite la ressentir à nouveau, de sorte qu’il voudra répéter le comportement de faire le bouffon pour faire rire. Au fil du temps, si chaque fois qu’il renouvelle l’expérience, il récolte les mêmes attentions, il se sent valorisé, ce qui contribue à satisfaire sa volonté de puissance ou, comme le dit Guitouni, à « flatter la volonté de puissance pour la rendre satisfaite et sécure » (Guitouni, 2000, p. 81).

Quels sont les risques à trop satisfaire la volonté de puissance ?

En soi, cet événement peut paraître anodin sur l’ensemble du développement de l’enfant, mais il illustre en fait le risque de dérive de la volonté de puissance vers la recherche de satisfaction découlant de la considération reçue. Or, selon Guitouni, « lorsqu’elle ressent un tel sentiment de force, la volonté de puissance n’a plus soif de défis ni d’évolution » (Guitouni, 2000, p. 81).

Obnubilé par la satisfaction qu’il tire chaque fois qu’il fait le bouffon, l’enfant risque d’opter systématiquement pour cette façon d’entrer en relation avec les autres et ainsi de ne pas enrichir ses habiletés sociales. Or la réalité de la vie le placera dans des circonstances qui nécessiteront d’autres moyens pour entrer en relation. Le rôle des parents, des éducatrices et des éducateurs est de l’inciter à utiliser son courage pour aller vers les autres et de le soutenir pour acquérir différentes attitudes dans ses relations interpersonnelles.

De plus, face à un entourage qui ne réagit pas comme prévu, qui reste indifférent ou même le rejette en lui disant de se tenir tranquille, quelles seront les réactions de l’enfant ? S’il a tout misé sur ce pouvoir de faire rire, il ne pourra qu’éprouver frustration, colère ou humiliation à la suite de cette expérience. Par ailleurs, la question n’est pas d’interdire à l’enfant ni de faire le clown − car c’est une habilité aussi valable qu’une autre − ni de vouloir attirer l’attention − car aimer recevoir de la considération est légitime. Cependant, l’enfant doit retenir que certains moments et lieux sont propices pour faire rire et que d’autres, non, et que tout le monde ne le trouvera pas drôle chaque fois. En devenant conscient de ces éléments, il apprend ainsi à se protéger d’une humiliation de sa volonté de puissance découlant du fait qu’on ne lui accorde pas la considération recherchée. La crainte de revivre cette humiliation pourrait, entre autres, le paralyser au point qu’il ne voudrait plus prendre sa place.

Pourquoi un enfant cherche-t-il à faire rire son entourage ?

chronique intelligence émotionnelle - bouffonPour soutenir l’enfant dans le développement de son identité humaine, il est utile de se demander : pourquoi cherche-t-il à faire rire son entourage ? A-t-il vu son frère ou sa sœur aînée agir de cette manière et pourquoi les imite-t-il ? Est-ce qu’en les observant, il peut avoir conclu que cette manière de se comporter est la bonne ? Ou cherche-t-il à être accepté par eux ? Par ailleurs, pourrait-il être en compétition avec eux et vouloir prouver qu’il est plus drôle ? A-t-il compris que ce comportement est valorisé par son entourage, et souhaite-t-il recevoir de la considération en l’adoptant ? L’enfant pourrait-il vivre de l’insécurité face à des inconnus et utilise-t-il le seul moyen qu’il connaisse (faire le bouffon) pour faire sa place parmi eux ? On pourrait aussi avoir affaire à un enfant qui se comporte différemment de son frère, de sa sœur ou de ses amis pour se distinguer : tout le monde est sérieux, alors il fait le bouffon. Quel que soit le stimulus de l’émotion de joie qu’il ressent lorsqu’il fait rire les autres – imitation, compétition, recherche de considération, désir de se distinguer –, il faut chercher à comprendre le besoin qu’il tente de combler en agissant de la sorte, c’est-à-dire clarifier les origines du stimulus de l’émotion. L’adulte pourra ainsi aider l’enfant à comprendre les influences qui s’exercent sur son comportement, l’aider à s’en libérer de sorte qu'il agisse davantage en conformité avec qui il est et non pour imiter, compétitionner ou se distinguer des autres. En multipliant ces prises de conscience, l'enfant renforce peu à peu son identité.

À partir de l’exemple d’un comportement, faire le bouffon, et de l’émotion de joie qui y est associée, la figure ci-dessous présente quelques stimuli qui peuvent susciter cette émotion ainsi que des éléments qui peuvent être à l’origine des divers stimuli. Les informations contenues dans cette figure ne constituent pas les seules explications au comportement donné en exemple. La réalité est complexe et pour un même comportement, plusieurs autres émotions, stimuli et origines à ces stimuli sont possibles.

Intelligence émotionnelle figure1

Nous avons choisi de présenter cette figure dans le but d’éclairer les lecteurs sur une démarche qu’ils peuvent effectuer avec eux-mêmes ou avec les jeunes afin d’amorcer une réflexion sur les liens entre différents comportements, émotions, stimuli et origines de ces stimuli. Cette démarche contribue au développement de l’intelligence émotionnelle et au renforcement de l’identité humaine. Selon notre expérience, les parents connaissent bien les comportements de leurs enfants et ce qui les poussent à agir de telle ou telle façon. Souvent, sans trop s’en rendre compte, ils captent de façon intuitive ce que leurs enfants ressentent émotionnellement. Pour ces raisons, ils sont en mesure d’amorcer la démarche d’analyse proposée dans cet article avec leurs enfants. Ils pourront l’adapter pour les soutenir dans leur cheminement, quel que soit leur âge.

Un exemple d’intervention avec un enfant à la recherche de la considération d’autrui

Choisissons, parmi les cas de figure présentés, l’exemple de l’enfant qui espère recevoir de la considération en faisant le bouffon. Il pense ainsi que les autres vont répondre à son besoin d’être accepté, apprécié ou aimé. La satisfaction ressentie laisse croire à la volonté de puissance qu’elle est comblée. Alors, un peu comme le vainqueur d’un combat qui jubile et s’assoit sur ses lauriers, elle est moins portée à cheminer vers l’acquisition de nouvelles compétences relationnelles qui favorisent l’autonomie. De plus, chaque fois que l’enfant n’obtient pas cette forme de satisfaction, il peut se sentir dévalorisé et insécure.

Comment peut-on intervenir ? Si l’origine du stimulus est le besoin d’être accepté, apprécié ou aimé, on peut discuter avec l’enfant de ce besoin : d’où vient-il ? Est-ce pour combler un manque réel ou imaginaire ? Au fur et à mesure qu’il grandit, on peut l’aider à comprendre que cette recherche d’être accepté, apprécié ou aimé risque de le maintenir dans la dépendance aux autres, car il s’accorde une valeur à travers leur regard. Alors qu’en s’aimant lui-même, il nourrit un sentiment que les autres ne peuvent lui enlever. En s’appréciant lui-même avec ses forces et ses faiblesses, il se libère de leur jugement, et sa volonté de puissance est réorientée vers son rôle premier qui est d’être une « force qui nous pousse […] à puiser en nous-mêmes l’énergie pour nous libérer de la dépendance » (Guitouni, 1991, p 10-11), comme nous l’avons souligné au début de cet article.

Ainsi, il faut remonter à l’origine du ou des stimuli afin de comprendre la véritable source de l’émotion et du comportement, sinon nous risquons d’envoyer des messages trompeurs à la volonté de puissance. En remontant à la source, l’intervention est mieux ciblée en fonction de ce que l’enfant vit intérieurement et elle lui permet de grandir sans être à la remorque de l’appréciation des autres.

Comment empêcher l'insécurité de freiner la volonté de puissance?

chronique intelligence émotionnelle - souliersVoyons maintenant comment l’insécurité peut freiner l’élan de la volonté de puissance. Un enfant tente d’apprendre à attacher ses lacets de souliers et n’y arrive pas. Malgré l’aide qu’on lui propose, il proteste en restant passif et va jusqu’à réclamer qu’on lui achète de nouvelles chaussures avec des attaches en velcro comme celles de son ami de la garderie. Ainsi, l’enfant ne veut pas faire d’effort soit par peur de vivre des difficultés, soit par peur de ne pas réussir à attacher ses lacets dès le premier essai. Il choisit la facilité afin de calmer son insécurité. Cela devient un frein à son évolution et dévie la volonté de puissance de son rôle premier, car ce choix contribue à le maintenir dans un état de satisfaction relié à la facilité au lieu de l’orienter vers le développement d’une capacité qui lui permettrait de s’améliorer, d’accroître sa confiance en lui et de surmonter ses peurs.

Selon Guitouni, l’insécurité affective doit être distinguée de « cette insécurité associée au processus continuel de la vie qui implique la confrontation à l’inconnu, au changement et à l’incapacité temporaire, inhérente aux étapes du développement » (1985, p. 23). C’est à celle-ci qu’on fait référence dans le présent exemple.

  • Il a peur d’éprouver des difficultés, car il se rappelle d’autres tâches où il en a eu et il ne veut pas se retrouver dans le même état émotionnel. Comme tout être humain, il veut être à la hauteur, mais il ressent une insécurité découlant d’échecs antérieurs, qui soulèvent chez lui un doute quant à ses capacités.
  •  Il a peur de ne pas réussir dès le premier essai et cela entraîne chez lui une insécurité liée à l’incapacité temporaire que suppose un nouvel apprentissage. Or cette incapacité temporaire est inhérente au développement de l’enfant. Celui-ci n’est cependant pas nécessairement conscient de cette réalité et il peut être animé par la recherche de la perfection, dès le début de l’apprentissage.

intelligence emotionnelle figure2

En choisissant la facilité, il calme temporairement son insécurité, c’est vrai. Par contre, en refusant de vivre de nouvelles expériences, il finira par craindre de plus en plus l’inconnu.

Comment peut-on intervenir ? Pour que l’enfant se libère de la peur qui l’anime, il a besoin de comprendre la source de son refus et les moyens qu’il peut mettre en œuvre pour apprendre. Il doit accepter que de ne pas savoir comment faire quand on commence un nouvel apprentissage est tout à fait normal, et que c’est par l’exercice qu’on parvient à la réussite. Il faut aussi vérifier si les attentes que l’enfant entretient par rapport à lui-même sont réalistes, de même qu’il doit aussi prendre conscience des conséquences pour lui s’il refuse d’avancer par lui-même. En choisissant la facilité, il calme temporairement son insécurité, c’est vrai. Par contre, en refusant de vivre de nouvelles expériences, il finira par craindre de plus en plus l’inconnu, et son insécurité augmentera. De plus, il ne développera pas le courage de faire face aux difficultés et ne ressentira pas la fierté de les avoir surmontées pour apprendre quelque chose de nouveau. Dans cet exemple, l’adulte doit lui-même persévérer afin de ne pas céder aux pressions de l’enfant qui veut aller vers la facilité. En effet, lui acheter des chaussures avec des attaches en velcro, ce serait si simple et facile ! L’accompagner dans son apprentissage pour qu’il ne démissionne pas est certes un peu plus exigeant.

Conclusion

À travers la démarche qu’il fera avec ses parents ou avec ses éducatrices et éducateurs, l’enfant qui fait le bouffon ou celui qui refuse d’apprendre à attacher ses lacets font des apprentissages qui leur serviront à renforcer leur volonté de puissance et leur sécurité personnelle, deux éléments essentiels au développement de leur identité humaine. Le premier comprend qu’il est important de saisir d’où vient son comportement et que sa valeur ne réside pas dans sa capacité à faire rire les autres. Quant au second, il accepte le défi d’apprendre au risque de se tromper en sachant que le courage que cela nécessite augmente sa capacité d’avancer et de surmonter son insécurité, en somme, de renforcer son identité humaine.

Nous avons tenté d’illustrer brièvement une démarche de développement de l’intelligence émotionnelle en nous référant à l’approche de Guitouni :

La profondeur de l’intelligence émotionnelle dépend d’une lecture des émotions s’articulant sur trois paliers que sont 

  • l’identification du stimulus de la réaction émotionnelle,
  • la clarification des origines du stimulus [,]
  • la prise de décision de la libération du mécanisme de la réaction, c’est-à-dire de sortir de l’infantilisme qui consiste à imputer la responsabilité aux autres.

Cette démarche s’inscrit dans le processus de développement de l’identité humaine qui repose sur :

·       la recherche de la connaissance (et non la recherche de posséder la vérité),
·       l’aptitude à rendre service en tant qu’être humain (et non en vue d’être utile pour prouver sa valeur) [,]
·       l’investissement d’énergie sur l’apprentissage et la découverte (et non gaspiller ses efforts à vouloir justifier ce qu’on sait déjà ou se fermer à ce qui est nouveau pour ne pas voir ses limites)» (Guitouni, 2000, p. 80).

chronique ie no50 image1 350px droitsPour Guitouni, comprendre l’identité humaine, c’est d’abord la saisir dans sa globalité, ce qui nécessite la connaissance de trois dimensions : l’instinct, l’émotion et la raison. « La dynamique de ces trois éléments qui forment la base de l’identité humaine doit être comprise à la lumière de deux pulsions de vie animant tout être, à savoir la volonté de puissance et la recherche de sécurité » (Guitouni, 2000, p. 143). Dans cet article, nous avons circonscrit la réflexion à ces deux pulsions et à leurs fonctions respectives. Nous avons aussi cherché à expliquer comment prévenir leur détournement vers la recherche de satisfaction, qui peut freiner l’évolution de la personne.

Éduquer les enfants dans le respect de leur identité humaine, nécessite, entre autres, de les aider à comprendre leur volonté de puissance et leur recherche de sécurité, de sorte que ces deux mécanismes cohabitent harmonieusement. Cette démarche fait partie d’un ensemble plus grand qui inclut l’équilibre entre les trois dimensions instinctive, rationnelle et émotionnelle de la personne. Voilà qui ouvre des perspectives à explorer lors de prochains articles.

Références

Guitouni, M. (1985). Le choix d’une génération : démissionner ou résister. Psychologie préventive, 8, 22-30.
Guitouni, M. (1991). Femmes si vous disiez la vérité. Montréal : Les Éditions de la SROH.
Guitouni, M. (2000). Au cœur de l’identité – L’intelligence émotionnelle. Montréal : Les Éditions Carte Blanche.

 

Pour citer cette chronique
Létourneau, M. et Normand-Guérette, D. (2017). Équilibrer la volonté de puissance et l'insécurité pour renforcer l'identité, Psychologie préventive. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : http://www.sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/216-equilibrer-la-volonte-de-puissance-et-l-insecurite-pour-renforcer-l-identite

Comprendre et équilibrer ses émotions dans un contexte professionnel

Comprendre et équilibrer ses émotions dans un contexte professionnel

Cet article décrit un exemple d'application de l'intelligence émotionnelle par un professionnel aux prises avec des émotions dérangeantes alors qu'il doit intervenir dans une situation de médiation. 

Auteure: Micheline Létourneau, psychoéducatrice, M.A. en éducation de l’Université du Québec à Montréal

Le professionnel qui intervient dans un contexte de relation d’aide est appelé à traiter différentes problématiques, et certaines peuvent lui poser des défis particuliers en raison de ses vulnérabilités personnelles et des émotions qu’elles provoquent en lui. Par exemple, un enseignant se sent intimidé par des élèves opposants, un éducateur a de la difficulté à démontrer de la compassion pour un jeune qui adopte une attitude de victime, une psychologue se sent moins compréhensive devant un homme qui se croit supérieur aux femmes. Malgré ses vulnérabilités, le professionnel de la relation d’aide accomplit son travail en étant conscient qu’il doit arriver à conserver sa neutralité dans le respect de l’éthique professionnelle. Dans un souci de développement professionnel, il cherche des moyens pour équilibrer ses émotions et améliorer sa pratique.

Comment peut-on se libérer des émotions perturbantes ou les équilibrer dans le cadre d’une intervention professionnelle ?

Le but de cet article est d’analyser les émotions vécues par un professionnel dans le contexte d’une situation déstabilisante et de présenter une démarche qui contribue au développement de son intelligence émotionnelle.

Voici la situation choisie. Un professionnel est appelé à intervenir auprès de deux parents divorcés dans un climat de confrontation. Il s’agit de parents compétents à s’occuper de leur enfant au quotidien. Néanmoins, le professionnel doit s’assurer que les parents tiennent celui-ci à l’écart du conflit qui les oppose depuis leur séparation. Dans son travail de médiateur, il assiste les parents dans leurs négociations entourant les modalités de garde, mais sa fonction lui donne également le pouvoir légal d’imposer une décision en cas de litige, s’il le juge dans l’intérêt de l’enfant. L’éventail des compétences requises va donc de la capacité à créer un climat d’échange et de négociation à l’exercice du pouvoir légal de trancher. Jusqu’à présent, le professionnel a toujours été reconnu pour ses compétences à mobiliser les parents dans une collaboration plus positive, mais dans ce cas-ci, l’affaire s’avère plus « coriace » et provoque en lui des émotions dérangeantes.

La confrontation qui dérange…

sroh conflit entre parentsToute personne est placée, un jour ou l’autre, devant la nécessité de prendre position et de s’affirmer face à un frère, une amie, un collègue de travail. Certaines personnes vivent ces expériences d’affirmation de soi avec une certaine fébrilité à l’idée de pouvoir se mesurer, d’évaluer de quoi elles sont capables ou de démontrer leur pouvoir. Par contre, d’autres ont tendance à fuir toute situation qui les oblige à exprimer le fond de leur pensée, à débattre de leurs idées dans un contexte d’opposition ou à remettre quelqu’un à sa place. Le professionnel de l’exemple rapporté ici appartient plutôt à cette deuxième catégorie. Se décrivant comme un être « pacifique », il tente de proposer des compromis aux conflits plutôt que d’adopter des positions plus affirmées en faveur de l’une ou l’autre des parties. Il reconnaît lui-même avec humour que sa répulsion pour toute confrontation est une motivation suffisante qui l’a incité, au fil des ans, à développer d’autres stratégies pour arriver à des ententes entre les parents. De façon générale, il est persuadé qu’il n’est pas armé pour gagner ce type d’argumentation, et la seule perspective d’une confrontation génère chez lui un stress qui se fait sentir longtemps d’avance. Toutefois, il parvient à s’affirmer dans certaines circonstances, par exemple lorsque la limite de sa capacité à « encaisser » sans rien dire est atteinte ou à d’autres moments, lorsqu’il sent qu’il a tous les arguments en main pour lui permettre de croire à une victoire assurée.


Négocier les vacances chez maman et chez papa

Précisons le contexte de l’exemple choisi ici. Le professionnel doit rencontrer les parents afin de fixer des dates de vacances de l’enfant avec chacun d’eux durant l’été. Malgré les conflits qui les opposent et leurs difficultés à dialoguer, le professionnel souhaite profiter de cette occasion pour les amener à s’engager dans une négociation. Après tout, se dit-il, le but de l’intervention est d’aider les parents afin qu’ils parviennent à s’entendre, maintenant et dans le futur, pour le mieux-être et l’équilibre de l’enfant, qui ne demande pas mieux que de pouvoir exprimer librement son attachement à ses deux parents.

Une ronde de négociations s’amorce autour d’une première semaine de vacances à la fin des classes à la demande d’un des parents. Après avoir tenté une première médiation, le professionnel constate que l’un des deux parents (parent no 1) refuse de céder du terrain. Il invoque plusieurs raisons pour ne pas accorder la semaine complète à l’autre parent (parent no 2).

Le parent no 1 soulève, entre autres, le risque que l’enfant s’ennuie de lui, puisque ce sera la première fois qu’ils seront séparés aussi longtemps. Il ajoute qu’il est lui-même en vacances durant cette semaine-là et qu’il souhaite profiter de son congé pour passer plus de temps avec son enfant. Notons qu’il s’agit du parent gardien et que son enfant est avec lui en permanence, excepté une fin de semaine sur deux où il est chez le parent no 2. Ce dernier a été absent de la vie de l’enfant pendant plusieurs mois et souhaite maintenant y jouer un rôle plus actif, mais selon le parent no 1, cela n’est pas une raison pour brusquer les choses.

Le professionnel comprend rationnellement le bien-fondé de l’affirmation pour favoriser son développement personnel et le respect de soi, mais émotionnellement, il n’en est pas convaincu.

 Aux yeux du professionnel, la position du parent no 1 est injustifiée, puisque les fins de semaine chez le parent no 2 se déroulent très bien. L’enfant manifeste chaque fois du plaisir à retrouver son parent et parle régulièrement des choses amusantes qu’il fait avec lui. Par ailleurs, le professionnel est conscient des contraintes de la conciliation travail-famille du parent no 1, mais cet argument n’est pas suffisant pour priver le parent no 2 d’une semaine complète de vacances avec son enfant. Malgré tout, le professionnel laisse les parents continuer la discussion sans intervenir, si bien que le parent no 2 finit par céder trois jours au parent no 1, réduisant ainsi sa semaine de vacances avec son enfant à une longue fin de semaine en sa compagnie.

Pourquoi le professionnel agit-il ainsi, laissant se poursuivre la discussion entre les parents sans intervenir ? Sur le plan personnel, cet intervenant préfère être perçu comme une personne conciliante et non autoritaire. Il n’aime pas l’idée qu’il pourrait susciter des réactions telles que de l’opposition ou de la crainte plutôt que l’appréciation de ses clients. Il aime se sentir apprécié de tous, et plusieurs de ses comportements envers les autres sont programmés pour répondre à ce besoin. C’est en partie pour ces raisons qu’il n’aime pas la confrontation, car il a compris et intégré dans sa structure mentale qu’elle provoque la plupart du temps l’insatisfaction quelque part. De ses expériences et observations antérieures, il a retenu que si on s’affirme et qu’on gagne, on est rejeté par le perdant, qui pourrait aussi chercher à se venger ; et si on perd soi-même, on vit de l’humiliation. Ainsi, il ne voit que très rarement des avantages au fait de s’affirmer. Bien sûr, il comprend rationnellement le bien-fondé de l’affirmation pour favoriser son développement personnel et le respect de soi, mais émotionnellement, il n’en est pas convaincu : s’il impose une décision, le professionnel ne peut s’empêcher d’appréhender des conséquences négatives, comme s’attirer plaintes et reproches de ses clients, auxquels il devra répondre.

Dans une problématique de conflit parental, les parents sont souvent animés d’un désir de vengeance l’un envers l’autre et veulent avant tout avoir raison. Même lorsqu’ils gagnent sur un point de négociation, ils trouvent d’autres reproches à faire à l’autre parent ou aux professionnels qui interviennent dans leur vie. Aussi, chaque décision du professionnel entraîne forcément l’insatisfaction de l’un ou l’autre parent — quand ce n’est pas des deux à la fois —, ce qui se traduit en discussions interminables, en accusations de favoritisme ou en tout autre argument pour réclamer justice. Or, dans la situation présentée ici, le professionnel craint de ne pas savoir comment répondre aux protestations du parent no 1 s’il impose une décision. Le sachant combatif et habile à argumenter, mais aussi parfois de mauvaise foi, il craint de se sentir désarmé face à lui. Tandis qu’avec le parent no 2, qui est moins revendicateur, le professionnel sent qu’il est possible de discuter et négocier. Ainsi, en hésitant à réaffirmer les droits du parent no 2 et à refléter au parent no 1 ses intentions cachées, le professionnel est conscient de ne pas respecter un droit du parent no 2. De plus, il ne répond pas aux besoins de l’enfant d’avoir des contacts en nombre suffisant avec ce dernier.

Les répercussions physiques des émotions 

Durant les trois semaines que durent les négociations autour de la première semaine de vacances, le professionnel rapporte qu’il vit un stress élevé, sentant son cœur sursauter chaque fois que son téléphone sonne, de crainte que ce soit l’un ou l’autre parent qui l’appelle. Il tarde parfois à leur téléphoner, tergiversant entre cet appel et d’autres tâches soudainement plus urgentes à faire, jusqu’à ce qu’il se décide à composer le numéro de téléphone en retenant son souffle. Les émotions vécues par le professionnel ont aussi d’autres répercussions. Notamment, le matin, il a de la  difficulté à sortir du lit, ayant l’impression « qu’un rouleau compresseur lui est passé sur le corps ». Il a toujours une sensation de fatigue et les paupières lourdes, éprouvant constamment un léger mal de tête. Sa motivation au travail s’en ressent également : il voudrait être ailleurs. Puis, des problèmes de digestion surgissent ; il croit avoir contracté un virus.

Comprendre la source du stress

La lecture des émotions est un processus qui requiert plusieurs tentatives avant d’identifier avec précision le stimulus de base qui les a provoquées.

L’inconfort provoqué par ces différents malaises l’oblige à s’arrêter et à réfléchir sur ce qu’il vit. Il ressent une gamme d’émotions qu’il prend un certain temps à identifier, puis à analyser. En effet, la lecture des émotions est un processus qui requiert plusieurs tentatives avant d’identifier avec précision le stimulus de base qui les a provoquées. Dans les moments où une personne est envahie par un amalgame de sensations et de pensées furtives, qui brouillent l’esprit et peuvent interférer avec sa capacité de réfléchir, il est nécessaire de s’arrêter et de faire l’exercice de se concentrer afin de chercher à saisir ce qui réagit en soi. Durant cet exercice, différents facteurs peuvent biaiser la réflexion, entre autres l’orgueil, la tendance à se surévaluer ou le refus d’admettre à soi-même une faiblesse ou une erreur. Il y a aussi le dénigrement de soi qui peut envahir le professionnel et l’amener à porter un jugement négatif sur lui.

sroh innovation Ainsi, dans cet exemple, le professionnel vit une lutte interne. Dans un premier temps, il tente de se convaincre du bien-fondé de sa non-intervention (ou de sa soi-disant stratégie du laisser-faire) en se défendant de juger cela une faiblesse. Il argue que les parents doivent se responsabiliser, que c’est le parent no 2 qui a cédé devant l’insistance du parent no 1, et que lui n’a rien à voir avec le résultat final. Mais après quelque temps, il n’arrive plus à taire le doute qui l’assaille sur la responsabilité qu’il porte dans l’issue de cette première négociation. Il réalise avoir créé une injustice à l’endroit du parent no 2. Il en vient à se traiter de lâche, car malgré la demande légitime du parent no 2 et sa bonne volonté à négocier, le professionnel hésite encore à trancher en sa faveur et à lui accorder la semaine de vacances. Il constate amèrement que non seulement sa stratégie du laisser-faire ne lui a pas permis d’atteindre son souhait d’être apprécié des deux parents, mais, en plus, il est déçu de lui-même, car il n’a pas agi à la mesure de sa compétence professionnelle. Ainsi dévoilé à lui-même par cette prise de conscience de l’origine de son stress et de ses malaises physiques, l’intervenant finit par s’en vouloir.

… un revirement de situation 

Au moment de négocier la première semaine de vacances, le parent no 1 avait demandé d’échanger une fin de semaine du milieu de l’été avec le parent no 2 afin d’avoir son enfant avec lui à l’occasion d’un événement spécial. À ce moment, le parent no 2 avait dit qu’il ne devrait pas y avoir de problème, mais n’avait pas confirmé sa réponse.

Quelques jours après ses premières vacances, le parent no 2 demande une seconde semaine avec son enfant vers la fin de l’été, car il a obtenu un autre congé de son employeur. À nouveau, l’appréhension du professionnel surgit devant la seconde négociation à amorcer. Il téléphone au parent no 1 pour l’informer de la demande de l’autre parent et cette fois encore, le parent no 1 s’y oppose. sroh valise enfant pixabayIl dénonce l’insistance du parent no 2 pour ravoir son enfant pour une seconde période prolongée, disant qu’il ne faut pas brusquer l’enfant dans l’intensification des séjours chez son autre parent. Quelques jours plus tard, le parent no 1 téléphone au professionnel pour dire qu’il avait omis de l’informer qu’il avait déjà planifié un voyage avec des amis précisément aux dates demandées. À la suite de cette nouvelle information, le parent no 2 s’impatiente, dénonce l’obstination du parent no 1 et décide de renoncer à sa seconde semaine de vacances. Mais, ajoute-t-il, il refuse désormais d’accorder l’échange de fin de semaine demandée par le parent no 1. Ce dernier crie au chantage et à la manipulation. Le professionnel comprend la décision du parent no 2 et confirme au parent no 1 qu’il n’y aura ni échange de fin de semaine pour le parent no 1 ni de seconde semaine de vacances pour le parent n2.

En raison du conflit qui oppose les parents et de leur propension à y mêler l’enfant, l’échange de garde se déroule dans un organisme spécialisé en présence d’intervenants qui font rapport au professionnel du déroulement de chaque échange. La fin de semaine suivante, le parent no 2 se rend donc chercher son enfant selon l’horaire habituel. Après 15 minutes d’attente, voyant que le parent no 1 ne se présente pas avec l’enfant, les intervenants lui téléphonent pour lui rappeler qu’on l’attend. Ce dernier répond qu’exceptionnellement, il a la permission de garder son enfant avec lui pour cette fin de semaine. Le parent no 2 repart seul, et les intervenants transmettent l’information au professionnel.

Le danger qui guette le professionnel est que sa volonté de puissance, frustrée et affaiblie pendant plusieurs semaines, cherche à prendre sa revanche.

Pour ce dernier, c’en est trop. Il téléphone au parent no 1 au cours des jours suivants pour clarifier la situation. Le parent no 1 dit qu’il avait compris que le changement d’horaire avait été convenu au début de l’été. Le professionnel lui rappelle qu’il lui avait clairement mentionné que devant sa fermeture à accorder d’autres vacances au parent no 2, cette entente ne tenait plus. Il se permet d’ajouter, tout en étant conscient du risque de recevoir une réaction négative de la part du parent no 1, que ce dernier semble avoir compris ce qui faisait son affaire. Il l’avise que pour remplacer les jours de la fin de semaine perdus par le parent no 2, il lui accorde la deuxième semaine de vacances aux dates que ce dernier avait demandée ; le parent no 1 devra ajuster les dates de son propre voyage. Ce dernier proteste, mais au bout du compte, il respectera la décision du professionnel. L’enfant a passé une semaine complète de vacances avec le parent no 2, et le professionnel a pu constater qu’il en est revenu heureux et enthousiaste.

La tentation de revanche de la volonté de puissance1

Un retour sur ce que le professionnel a vécu sur le plan émotionnel après la « fin de semaine manquée » s’impose ici. Il se sent exaspéré par l’attitude du parent no 1, ce qui lui donne un certain élan pour lui dire ce qu’il pense de son attitude. En même temps, le professionnel voit dans ce geste du parent no 1 une occasion de donner une autre tournure aux événements. En effet, le parent no 1 lui facilite le travail. Pris en défaut de n’avoir pas respecté une consigne, le parent no 1 ne trouve plus d’arguments pour s’opposer. Le contexte amène le professionnel à être convaincu d’avoir tous les atouts en main et il n’hésite plus à confronter le parent no 1. Durant quelques jours, cette décision lui permet de regagner de la crédibilité à ses propres yeux, car il a réussi à s’affirmer devant le parent no 1 et à rétablir la situation dans le respect des droits du parent no 2. Il agit enfin en conformité avec sa responsabilité professionnelle et se libère des sentiments de lâcheté et d’incompétence qui l’accablaient.

Ainsi délivré du stress lié aux émotions négatives, le professionnel se sent ragaillardi : les maux de tête s’estompent, de même que les douleurs à l’estomac. À la place, il se sent léger, respire librement, son cœur a repris un rythme normal. À nouveau, il se fait confiance et retrouve la conviction de sa compétence professionnelle ; venir au travail ne lui apparaît plus comme une corvée.

À partir de ce moment, le danger qui le guette est que sa volonté de puissance, frustrée et affaiblie pendant plusieurs semaines, cherche à prendre sa revanche. Si le professionnel ne prend pas rapidement conscience de cet état, il risque de continuer à se laisser dériver sur cette vague, de perdre son sens critique et de porter un jugement biaisé sur son intervention. Il pourrait ainsi se dire à lui-même que sa stratégie du laisser-faire était la bonne, puisqu’elle a permis que ce soit le parent no 1 qui se piège lui-même. De ce fait, il balaie sous le tapis le souvenir des soucis, doutes et reproches qu’il se faisait à lui-même durant toute cette période où il a été réticent à utiliser son pouvoir décisionnel. Pourtant, si le professionnel avait utilisé son droit de trancher, le parent no 2 aurait eu droit à ses deux périodes de vacances telles qu’il les demandait et l’enfant aurait pu bénéficier de la présence de son parent pour de plus longues périodes. En réalité, si le professionnel laisse une trop grande place à sa volonté de puissance à nouveau satisfaite, son jugement sera altéré et il ne verra pas que sa stratégie de non-intervention visait davantage à éviter de s’affirmer et, par ricochet, devenait une fuite devant sa responsabilité professionnelle.

L’éclairage de l’intelligence émotionnelle

Précédemment, il a été possible de constater que le professionnel a amorcé une démarche faisant appel à son intelligence émotionnelle. Il a ainsi établi un dialogue avec lui-même dans lequel il cherche à comprendre les émotions qui l’ont, ni plus ni moins, assailli durant plusieurs semaines. Il faut se rappeler que dans un premier temps, le professionnel avait admis qu’il n’aime pas la confrontation. Un premier niveau d’analyse l’avait amené à penser que son besoin de plaire le freine dans l’exercice de son rôle et qu’il évite de confronter les autres afin de gagner leur appréciation.

En poursuivant sa réflexion dans un deuxième niveau d’analyse, il a pu découvrir d’autres explications sous-jacentes pour mieux comprendre ce qui le pousse à vouloir éviter la confrontation. Il faut se souvenir que la réputation de compétence du professionnel est établie, qu’il possède un jugement clinique avéré et soucieux de l’intérêt de l'enfant. La satisfaction de ce dernier au retour de ses vacances avec son parent no 2 confirme la justesse de ses décisions. Il est conscient que ce n’est donc pas un problème d’intelligence ou de compétence qui expliquent sa réticence à confronter ses idées aux autres. En approfondissant son analyse, il réalise que les débats plus « musclés » l’obligent à défendre une position pour laquelle il craint de subir des reproches si les faits l’amènent à reconnaître qu’il s’est trompé. Il appréhende de voir sa réputation d’expert ternie, car dans son for intérieur, il veut être irréprochable. Par ailleurs, ce type de discussion lui demande beaucoup d’énergie : il faut écouter attentivement les arguments de l’autre et trouver rapidement les bonnes répliques, ce qu’il a de la difficulté à faire étant donné qu’il est envahi par différentes émotions dérangeantes. De plus, il constate son manque d’entraînement intellectuel et de résistance face à la confrontation, puisqu’il cherche habituellement à l’éviter. 

sroh intelligence émotionnelle étapes pixabayCet article cherche à illustrer l’application de l’intelligence émotionnelle dans le cadre d’une intervention professionnelle. Rappelons que l’intelligence émotionnelle fait appel à la « capacité à identifier le stimulus qui déclenche la réaction émotionnelle [ce qui] aide l’individu à chercher des moyens pour diminuer l’intensité de ce stimulus et ainsi pouvoir équilibrer l’émotion et ressentir un sentiment de bien-être personnel » (Normand-Guérette, 2014, p. 32)

 Ici, le professionnel a retrouvé un bien-être physique et psychologique et a pu découvrir que sa crainte de la confrontation n’est pas reliée au besoin d’être apprécié des autres. En fait, il cherche davantage à protéger son image et à ménager ses efforts. Cette découverte est intéressante sous plusieurs aspects :

1. 
Par ses prises de conscience, le professionnel comprend qu’il y a moyen de ne plus subir l’assaut des émotions négatives.
Il ne peut continuer de prétendre que son problème vient de son désir de plaire aux autres pour expliquer ses tentatives d’éviter la confrontation, puisqu’il a découvert que c’est un autre stimulus qui est à l’origine de son comportement et des émotions qu’il ressent. De plus, il a été en mesure de prendre une décision insatisfaisante pour le parent no 1 et au final, il n’a pas été attaqué ou remis en question par ce dernier. Par ailleurs, cette décision lui a permis de rester fidèle à ses principes et de regagner son sentiment de compétence professionnelle. Donc, il comprend que d’agir en conformité avec son intégrité professionnelle est beaucoup plus profitable que le fait de tenter de ménager les autres afin de susciter ou conserver leur appréciation. De surcroît, il découvre qu’il a surestimé le pouvoir du parent no 1, qui a respecté sa décision, et il en vient même à se demander si la contestation de ce dernier ne serait pas une tactique pour tester la solidité des intervenants.

2. Il prend conscience de ce qui le freine : son souci de préserver son image et une forme de paresse qui se manifeste par son manque d’empressement à être alerte dans l’argumentation. Cette prise de conscience lui ouvre de nouvelles voies pour se libérer de ces entraves, car les ressources se trouvent en lui-même. Il s’agit pour le professionnel d’aiguiser ses réflexes dans les situations d’argumentation, de développer sa résistance face à la pression que ces débats suscitent et de diminuer l’orgueil qui l’amène à vouloir préserver son image. Pour y parvenir, il est nécessaire d’accepter de s’astreindre à vivre des expériences impliquant l’argumentation, à apprendre de ces expériences et surtout de ses erreurs.

3. Finalement, la démarche entreprise lui permet d’avoir une vision plus juste de son potentiel en se basant sur des données réelles et non influencées par les impressions induites par ses craintes, ses rancunes, son désir de plaire, sa paresse ou son orgueil.

Par ses prises de conscience, le professionnel comprend qu'il y a moyen de ne plus subir l'assaut des émotions négatives. À travers la démarche de développement de son intelligence émotionnelle, il se libère de leur emprise et réalise qu’en travaillant sur lui-même, il peut agir pour retrouver un équilibre émotionnel. Dans l’exemple présenté dans cet article, le professionnel a pris conscience des entraves qu’il vivait,

Chaque personne peut faire la recherche des stimuli à l’origine des émotions qui l’habitent et des comportements qui en découlent.

notamment dans sa relation avec le parent no 1, ce qui freinait son action professionnelle. Il est maintenant plus disponible à analyser, comprendre, voire anticiper les comportements des parents. Il est plus neutre et accomplit avec plus de facilité son travail conformément à l’objectif qu’il s’était fixé au départ, à savoir établir des ponts avec chacun des parents, développer une relation de confiance avec eux et soutenir l’établissement d’une collaboration entre les deux parents.

Équilibrer ou étouffer ses émotions…

Plusieurs autres raisons peuvent expliquer la peur de la confrontation dans une relation professionnelle. Chaque personne peut faire la recherche des stimuli à l’origine des émotions qui l’habitent et des comportements qui en découlent. Pour s’en libérer, il faut prendre le temps de les identifier et de comprendre ce qui les provoque. On pourrait faire le parallèle avec la peur de l’inconnu. Il faut accepter de s’engager dans des situations inconnues pour les démystifier et les apprivoiser. La fuite devant ces situations qui nous dérangent n’est pas vraiment une solution. Au contraire, le fait de vivre des expériences dérangeantes2 nous permet de développer une meilleure conscience de soi par l’identification des émotions qu’elles éveillent en nous. Lorsqu’on comprend mieux ce qui les provoque, les émotions sont moins envahissantes, les malaises physiques peuvent s’estomper graduellement et on devient plus disponible pour focaliser sur les responsabilités à assumer. Mais si, au contraire, on cherche à les étouffer, elles finissent par trouver une autre voie pour se manifester.

Une démarche bénéfique pour soi-même et les autres

La démarche visant à développer sa propre intelligence émotionnelle est exigeante. En contrepartie, elle « donne à l’individu la capacité et la compétence de se libérer de ses frustrations, de même que la solidité et le courage d’analyser et d’équilibrer ses émotions. En bout de ligne, elle lui procure les moyens de disposer d’une identité forte et de rayonner dans son milieu tout en se comportant de façon pondérée et équitable » (Guitouni et Brissette, 2008, p. 41). Ainsi, les retombées de cette intelligence émotionnelle se font sentir non seulement sur le plan individuel, mais aussi sur le plan des relations interpersonnelles dans les milieux familial, amical et professionnel, de même que dans l’engagement au sein de la société.

Références

Guitouni, M. et Brissette, Y. (2000). Au cœur de l’identité. L’intelligence émotionnelle. Outremont : Éditions Carte blanche.

Guitouni, M. et Brissette, Y. (2008). L’intelligence émotionnelle et l’entreprise. Outremont : Éditions Carte blanche.

Guitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993). Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Normand-Guérette, D. (2014). Intelligence émotionnelle : comment apprivoiser les émotions ? Psychologie préventive, 47, 30-35.

Notes

1 Pour expliquer le concept de « volonté de puissance », nous nous référons aux travaux de Guitouni :

« L’étude de la globalité identitaire nécessite la connaissance de trois éléments : la nature du fonctionnement cognitif, émotif et instinctif de la personne. La dynamique de ces trois éléments qui forment la base de l’identité humaine doit être comprise à la lumière des deux pulsions de vie animant tout être, à savoir la volonté de puissance et la recherche de sécurité. » (Guitouni et Brissette, 2000, p. 143.)

« […] chaque personne vient au monde avec une double pulsion : la recherche de sécurité et la volonté de puissance. Ces deux éléments sont innés. L’insécurité est déclenchée par le choc de la naissance et par la dépendance du nourrisson dans ses besoins de survie. Mais au-delà de la fragilité de la petite enfance, l’être humain naît aussi avec un autre mécanisme de pulsion de vie qui s’appelle la volonté de puissance et que je définis comme la force qui nous pousse à réclamer nos droits et à puiser en nous-mêmes l’énergie pour nous libérer de la dépendance. L’insécurité permet de protéger sa survie et la volonté de puissance incite à chercher le moyen de grandir. […]

L’établissement, au courant de la vie, d’un équilibre entre ces deux tendances conduit l’individu au développement et à l’épanouissement de son identité. En effet, si quelqu’un sait se protéger et en même temps se développer, il s’achemine vers une évolution personnelle garante d’une identité forte. (Guitouni, 1991, p. 10-11.)

Par contre, “nous avons constaté qu’une personne vivant un conflit continuel entre sa volonté de puissance, c’est-à-dire son désir de s’imposer et de prendre la place qui lui revient, et son incapacité à faire face à l’insécurité, sera dans l’impossibilité d’avancer et de s’améliorer. […]” (Guitouni, 1985, p. 23.)

Ainsi, lorsque nous vivons un déséquilibre, “notre volonté de puissance [est réduite] à un mécanisme de réaction alors qu’en fait, [elle] devrait en être un d’action et de correction, et […] nos insécurités [sont exacerbées] au point de nous rendre obsédés de la sécurité et de pousser le ridicule de notre préservation jusqu’à l’apathie et au laisser-aller. (Guitouni, 1985a, p. 9) » (Guitouni et Normand-Guérette, 1993, p. 161-162.)

L’exemple que nous analysons dans cet article illustre une forme de déséquilibre entre la sécurité et la volonté de puissance. L’intervention que le professionnel doit faire suscite son insécurité pour toutes les raisons mentionnées, cependant, en hésitant à prendre des décisions, il va à l’encontre de sa volonté de puissance, dont le rôle est de l’amener à s’affirmer et à évoluer. Après avoir brimé sa volonté de puissance, lorsque le professionnel s’affirme enfin, sa réaction peut ressembler à celle d’un ressort qui se détend brusquement et il peut avoir de la difficulté à évaluer sa portée. Il en est de même avec la volonté de puissance qui cherche à prendre sa revanche et à s’exprimer avec force. Elle prend alors une ampleur surdimensionnée et pousse la personne à se gonfler d’orgueil et à se croire momentanément plus forte qu’elle ne l’est. L’intérêt de développer son intelligence émotionnelle est d’enrichir la connaissance de soi par la compréhension des émotions, ce qui concoure au renforcement de son identité personnelle. Ainsi, l’individu est de plus en plus conscient des raisons de ses comportements, de ses forces, de ses compétences et de ses vulnérabilités. De plus, une connaissance réaliste de sa valeur contribue au développement d’une confiance et d’une sécurité personnelles ainsi qu’à l'expression d’une volonté de puissance équilibrée.

2 Bien sûr, la complexité de certaines de ces expériences dérangeantes nécessitera que le professionnel fasse appel à des services spécialisés pour l’aider dans sa démarche.

 Pour citer cet article

Létourneau, M. (2015). Comprendre et équilibrer ses émotions dans un contexte professionnel, Psychologie préventive, (48), 30-38. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : http://www.sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/243-equilibrer-la-volonte-de-puissance-et-insecurite-pour-renforcer-identite.