Une réflexion qui aide à comprendre comment ce qui est vécu tout au long de notre vie influence le développement de notre identité humaine et comment il est possible de se libérer de ce qui entrave notre évolution afin de renforcer cette identité.
Auteur : Serge Trépanier, père de deux jeunes adultes, témoigne de son cheminement pour renforcer son identité humaine.
Dans cet article, j’aimerais partager avec vous ma réflexion sur certains éléments de mon cheminement pour renforcer mon identité humaine, cheminement qui m’a permis de passer de l’enfant éduqué avec beaucoup de privilèges à l’adulte responsable d’un service en entreprise et à mentor dans mon milieu de travail ainsi qu’auprès des jeunes de mon entourage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de clarifier la différence entre l’identité humaine et l’identité sociale.
Qu’est-ce que l’identité humaine et l’identité sociale ?
L’identité socialei est composée notamment des connaissances acquises, du rôle social, du mode de vie, des influences de l’environnement et de la culture, des conditionnements de la société. En général, on accorde beaucoup d’importance à cette identité. Ainsi, on nous reconnaît comme le fils d’un tel, l’ami d’une telle, l’employé ou le professionnel. Mais nous ne sommes pas que cela.
Notre identité humaine est présente dès notre naissance et est composée de nos émotions, de notre raison et de notre instinct. Son évolution sera influencée par l’environnement, l’éducation, la famille, les relations interpersonnelles, etc. Afin que nous comprenions mieux qui nous sommes, la démarche de l’approche d’intervention préventive multidimensionnelle de Guitouni propose que nous revenions à cette base qu’est l’identité humaine en prenant conscience des facteurs qui ont eu un effet sur elle. De plus, cette approche est multidimensionnelle dans le sens où elle permet de « développer des outils à plusieurs niveaux pour aider [la personne] à renforcer son identité, à développer sa capacité de résister à la pression et à comprendre les enjeux des relations interpersonnellesii ».
Qu’est-ce qui a marqué mon enfance ?
Commençons par ce qui a marqué mon enfance. Pendant les six premières années de ma vie jusqu’à la naissance de mon frère, j’ai été un enfant choyé et privilégié, et j’ai eu droit à toute l’attention de mes parents. J’avais tout ce que je voulais sans même le demander ou devoir faire l’effort de le demander. Et même après la naissance de mon frère, ma mère a continué à m’octroyer un statut privilégié. Pour attirer son attention, mon petit frère me narguait pour me faire réagir, mais ma mère prenait la plupart du temps ma défense.
En tant qu’enfant choyé, je n’avais pas à exprimer mes besoins ni mes idées, parce que j’obtenais tout ce que je voulais sans faire d’efforts.
À cette époque, mon père trouvait que j’étais surprotégé et tentait de contrebalancer l’approche surprotectrice de ma mère. Je me rappelle que lors de mes échanges avec lui, j’étais susceptible et je réagissais au quart de tour. Il me traitait alors de « soupe au lait ». Au fond de lui, il souhaitait que je sois moins susceptible et plus capable d’argumenter mes propos afin de pouvoir plus tard prendre ma place comme adulte.
Avec toute l’attention et les privilèges accordés par ma mère et le fait qu’elle allait au-devant de mes besoins, j’ai eu la vie facile : je n’avais pas à exprimer mes besoins ni mes idées, parce que j’obtenais tout ce que je voulais sans faire d’efforts. Cela m’a amené à me croire au-dessus des autres. Par contre, puisque je n’avais pas développé la capacité de m’exprimer et de m’affirmer, j’ai vécu des expériences, en dehors du cercle familial, où j’ai pris conscience de ma vulnérabilité.
Avec le recul, je considère que de ne pas exprimer mes émotions et mes idées m’a conduit à chercher à éviter les conflits interpersonnels. Je n’étais pas à l’aise avec la contestation ni l’affrontement, car, d’une part, je n’avais pas appris à expliquer mon point de vue en l’appuyant sur une argumentation et, d’autre part, je me croyais supérieur et je ne voyais pas la nécessité de m’exprimer. J’ai été élevé comme un enfant unique et habitué à avoir toujours raison sans opposition ; je peux dire sans trop me tromper que j’en suis venu à considérer que l’objectif à préserver à tout prix était cet état de calme et de bien-être que je ressentais dans cette vie d’enfant choyé, jamais frustré et contesté.
Qu’est-ce que j’ai vécu durant mes études universitaires ?
J’ai pris conscience des conséquences de l’attitude dans laquelle je me cantonnais, à savoir celle de l’enfant unique et choyé.
Quand j’étais adolescent, ma mère a entrepris une démarche de renforcement de son identité humaine et a participé à des formations basées sur l’approche d’intervention préventive multidimensionnelle de Guitouni. Elle m’a introduit à ces formations, que j’ai suivies au même moment que mes études universitaires. À cette époque, je rencontrais des difficultés dans mes études et dans mes relations interpersonnelles. J’étais en quelque sorte à la recherche de moi-même et en quête de savoir qui j’étais et ce que je voulais faire. Ces formations m’ont permis de comprendre que je devais changer pour être en mesure d’affronter les difficultés du monde réel qui se présentaient à moi. Ainsi, pour surmonter ces nouveaux défis, à l’université par exemple, j’ai dû développer la persévérance et le courage de résister au désir d’abandonner à la moindre embûche.
Durant mes années d’université, j’ai pris conscience des conséquences de l’attitude dans laquelle je me cantonnais, à savoir celle de l’enfant unique et choyé. J’ai appris à reconnaître mes émotions, notamment celle d’être frustré du manque de reconnaissance de mon intelligence. La démarche entreprise dans les formations mentionnées précédemment m’a amené à comprendre ce qui provoque mes émotions. Cela m’a aidé à éviter que mes réactions émotives viennent créer de l’interférence dans mes propos ou dans mes relations avec les autres. J’ai aussi appris à étayer mon argumentaire pour prendre ma place ainsi que mon courage pour m’affirmer, ce qui a facilité par la suite mon intégration professionnelle.
Quel a été mon cheminement dans mon milieu de travail ?
Pendant mes premières années de travail en tant qu’ingénieur, j’ai développé mes compétences grâce à l’accompagnement de professionnels plus expérimentés. Étant un peu paresseux de nature et ayant parfois besoin d’être « bousculé » pour bouger, j’ai accepté d’être encadré par une personne reconnue pour son approche exigeante. Ces années de mentorat m’ont permis de voir les avantages d’une telle démarche et j’ai compris que mon intérêt reposait dans l’apprentissage et l’acquisition des compétences et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de ma profession.
Sur le plan émotionnel, je ressentais à la fois de l’insécurité et une certaine frustration.
Après quelques années de travail, j’ai vécu une expérience qui m’a poussé à sortir de ma zone de confort. Après le départ de mon supérieur, le grand patron m’a offert de prendre le poste vacant de directeur de service. Mon premier réflexe fut de refuser, car je doutais de mes compétences et je craignais de ne pas être à la hauteur du défi.
Voyant la déception sur le visage du patron, je me suis demandé : « S’il croit que j’ai les capacités d’assumer le poste, pourquoi moi, je ne me fais pas confiance ? » J’ai alors fait une introspection sur les raisons de mon refus et voici ce que j’ai compris. Sur le plan émotionnel, je ressentais à la fois de l’insécurité et une certaine frustration. L’insécurité m’amenait à penser que je n’étais pas à la hauteur du poste et que je risquais d’être jugé par les autres si j’échouais. En même temps, j’éprouvais une frustration liée à ma volonté de puissance, qui, elle, me poussait à foncer et que j’étouffais. J’ai analysé mon insécurité et j’ai pris conscience que mes peurs n’étaient pas fondées, puisque j’avais les compétences de base requises pour aller plus loin et que je devais me faire confiance. En acceptant le poste, j’allais satisfaire ma volonté de puissance, car en saisissant cette occasion qui m’était offerte, j’avais la possibilité de renforcer mes compétences professionnelles et humaines.
Le lendemain, j’ai fait part de mon changement d’idée au patron et je lui ai annoncé que j’acceptais de prendre le poste. Ma décision fut basée sur ce que je voulais accomplir et non sur le désir de plaire au patron qui m’avait offert le poste. Cette expérience m’a permis de renforcer mon identité humaine et a eu une influence déterminante sur l’ensemble de ma carrière.
Quelle influence ma mère et mon père ont-ils eu sur mon cheminement ?
Ici, je trouve important de préciser que ma mère, à travers la démarche qu’elle avait entreprise pour elle-même, avait pris conscience de la nécessité pour ses enfants d’être instruits, mais aussi de développer leurs compétences humaines et sociales ainsi que leur intelligence émotionnelle. Après toutes ces années, j’ai compris que son but premier était de nous éviter, à mon frère et à moi, des difficultés avec la gestion des émotions et de nous donner le goût et le courage de vivre nos ambitions. Merci, maman !
Lorsque j’étais jeune, mon père a senti intuitivement qu’il devait corriger la trajectoire vers laquelle la surprotection de ma mère me conduisait. De plus, il avait une connaissance et une expérience du monde extérieur, et je comptais sur lui pour qu’il me conseille et m’épaule, ce qu’il a fait durant tout mon parcours. Merci, papa !
Quelle est l’importance de l’intelligence émotionnelle au travail ?
Il ne faut pas se fier aux apparences parfois trompeuses et il faut plutôt chercher à définir les raisons derrière un comportement.
Tout au long de ma démarche personnelle, j’ai accordé de l’importance à certaines valeurs telles que respecter les différences, ne pas se croire supérieur aux autres à cause de son titreiii, être franc, tenir parole, etc. Je voulais devenir une personne de confiance, intègre et sur qui on pouvait se fier. Je voulais pouvoir agir comme mentor auprès des plus jeunes et être capable de donner le goût du dépassement. Ainsi, dans le cadre de mon travail comme directeur en entreprise, j’ai misé sur l’intelligence émotionnelle pour avoir une influence positive sur les membres du personnel de mon service. J’ai réussi à me faire apprécier en étant à l’écoute pour mieux les connaître, en faisant appel à leur coopération et en les motivant à donner le meilleur d’eux-mêmes, et ce, en fonction de leurs propres capacités, de leurs aptitudes et de leur désir de développer leurs compétences.
Pour illustrer mon propos, voici une situation que j’ai vécue : j’ai eu à intervenir auprès d’un employé qui arrivait souvent en retard au travail. Je lui ai demandé de venir dans mon bureau et j’ai commencé à lui poser des questions sur les motifs de ses retards. Au fur et à mesure de la conversation, il a fini par m’expliquer les raisons qui l’avaient amené à avoir ce comportement : il était démotivé au travail et les tâches qu’on lui confiait n’étaient pas satisfaisantes pour lui. Nous avons donc établi ensemble un plan d’action qui comportait des formations et des objectifs très précis à la fois pour lui et pour son rôle dans l’entreprise. Par la suite, cet employé n’est jamais plus arrivé en retard, sa motivation et son engagement au travail se sont accrus. Ceci démontre qu’il ne faut pas se fier aux apparences parfois trompeuses et qu’il faut plutôt chercher à définir les raisons derrière un comportement.
Conclusion
Mon cheminement m’amène à constater que les expériences et les apprentissages de l’enfance et ce qui est vécu tout au long de notre vie influencent le développement de notre identité humaine. Or la démarche de renforcement de cette identité humaine n’est jamais achevée. On ne peut prétendre atteindre la perfection, mais on peut tendre à équilibrer la recherche de sécurité et les élans de la volonté de puissanceiv. Pour moi, encore aujourd’hui, mon sentiment d’insécurité se fait sentir lorsque je suis placé devant l’inconnu et j’ai tendance à remettre les choses à plus tard. Chaque fois, il me faut contrecarrer l’emprise de mon besoin de sécurité pour orienter mon action dans le respect de mon identité humaine et de celle des autres. Ainsi, l’apprentissage que j’ai fait et la connaissance que j’ai aujourd’hui de moi-même font en sorte que je suis en mesure de me dire : « J’ai assez procrastiné, lance-toi, agis, bouge, fais quelque chose. » Mais la recherche de satisfaction de l’enfant unique et choyé n’est jamais loin derrière, j’en suis conscient, et je peux dire que, maintenant, je prends les moyens pour m’en libérer.
Références
iGuitouni, M. (2008). L’intelligence émotionnelle et l’entreprise. Outremont : Carte blanche, p. 36-38.
iiGuitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993). Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec.
iiiVoir le concept d’égalité humaine dans le livre de Guitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993), Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes (Québec : Presses de l’Université du Québec), p. 153.
ivPour plus d’explications sur l’insécurité et la volonté de puissance, vous pouvez consulter :
- Létourneau, M. et Normand-Guérette, D. (2017). Équilibrer la volonté de puissance et l’insécurité pour renforcer l’identité. Chronique : intelligence émotionnelle, Psychologie préventive. http://www.sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/216-equilibrer-la-volonte-de-puissance-et-l-insecurite-pour-renforcer-l-identite
- Guitouni, M. et Normand-Guérette, D. (1993) Entretiens avec Moncef Guitouni sur ses études du comportement des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec, p. 161-166.
Pour citer cet article
Trépanier, S. (2023) De l’enfant choyé à l’adulte responsable : mon cheminement pour renforcer mon identité humaine, Psychologie préventive. Chronique sur l’intelligence émotionnelle, en ligne : https://sroh.org/fr/intelligence-emotionnelle-section/287-de-l-enfant-choye-a-l-adulte-responsable-mon-cheminement-pour-renforcer-mon-identite-humaine